Dunkerque Street View

Comment explorer un territoire en plein confinement ? Lors d’une résidence d’éducation aux médias, organisée à Dunkerque durant la crise sanitaire, j’ai proposé à des habitants de découvrir leur ville grâce à un atelier d’orthophotographies réalisées grâce à Google Earth.

Google a photographié 98% de la surface de la Terre.

16 093 440 km de chemins ou de routes tient dans notre téléphone ou sur notre ordinateur de salon.

Le territoire de Dunkerque Grand Littoral n’y échappe pas. Mener un atelier de photographies en utilisant Google Earth Pro, dans sa version logicielle, est un formidable moyen d’explorer les recoins du territoire que l’on connaît peu, ou auxquels on n’a pas accès.

Dans le dunkerquois, de nombreux espaces restent inconnus des habitants, ou inaccessibles. La zone industrielle portuaire représente près de 7000 hectares, dont 813 occupés par des sites Seveso « seuil haut ». Des zones dangereuses, soumises à des strictes restrictions de circulation pour ceux qui n’y travaillent pas. Cette barrière d’usines, sur 17 km du littoral, prive de nombreux habitants d’un pan entier de leur territoire.

Ils sont, en effet, de moins en moins nombreux à y travailler. Le nombre d’emplois dans la zone industrialo-portuaire a en effet eu tendance, à production constante, à baisser, et pas seulement chez les dockers. Arcelor Mittal Atlantique emploie 3000 salariés aujourd’hui, contre 11 000 dans les années 1970. Autre illustration : le tout nouveau terminal méthanier de Dunkerque, mis en service en 2017. Ce site, qui occupe une cinquantaine d’hectares, est géré par Gaz Opale, un opérateur qui n’emploie qu’une soixantaine de personnes à l’année.

Le port autonome de Dunkerque, conscient de cet éloignement du port de la population locale et des zones urbanisées, multiplie les opérations de découvertes de ses activités et a mis en ligne, sur son site, une visite virtuelle de ses infrastructures via une douzaine d’images à 360 degrés prises à différents points de vue stratégiques du port.

Avec Google Earth, chacun peut explorer cette zone industrialo-portuaire à sa guise, depuis chez soi. Hormis la centrale nucléaire de Gravelines, floutée pour raison de sécurité, on peut tout observer, ou presque, des hauts-fourneaux d’Arcelor Mittal Atlantique aux portiques de conteneurs du port Ouest en passant par le quai à pondéreux, où sont déchargés les minéraux lourds.

Le long de la route du Bassin maritime, interdite d’accès sans autorisation.
Quai de Flandre. « Port rapide » à conteneurs, dans le port ouest de Dunkerque.

Pourquoi utiliser les images de Google ? Les satellites de la firme de Montain View, en Californie, sont-ils les seuls à remplir une telle mission? Évidemment, non.

En France, un service 100 % public fait le job, et même mieux : le Geoportail de l’Institut national géographique. Photographies aériennes, images des satellites Spot, cartes IGN, géologiques, de reliefs, cartes anciennes et militaires, en plus de dizaines d’autres cartes thématiques (transports, cadastres, ortho-littorales)…. ce service démontre les bienfaits de l’open data. Il permet en outre une fonction précieuse, celle de comparer des cartes de différentes époques, et ainsi mesurer l’évolution du territoire sur une longue période.

Image extraite du Géoportail.
Image extraite du Géoportail.

Geoportail est merveilleux, mais la fonction de capture d’image est bien moins aisée qu’avec Google Earth Pro. Cette application a, en outre, nettement amélioré, ces dernières années, la résolution des images proposées. Au point que les photos faites via cette application sont devenues une tendance sur le web et sur un Instagram (à voir ici ou ).

Cette facilité d’utilisation explique pourquoi j’ai choisi cet outil pour proposer aux habitants, dans le cadre de ma résidence CLEA, d’explorer leur territoire en se prenant pour Yann-Arthus Bertrand, le temps d’un atelier. Il a d’abord été proposé aux maisons de quartiers en visioconférence, lors du deuxième confinement, puis en présentiel au sein de la maison de quartier de la Basse-ville.

Cet exercice a été un formidable moyen pour révéler le rapport intime des habitants à leur territoire, la façon dont ils habitent le dunkerquois.

Usine des Dunes, à Leffrinckoucke.

Site de déchargement qui alimente la vapocraqueur de Versalis, (ex-Poliméri), une usine pétrochimique produisant des produits chimiques (éthylène, propylène, benzène…), des styréniques (jouets, isolation, accessoires automobiles), des élastomères (gomme, latex) et du polyéthylène (pour les sacs, films, emballage).

Les orthophotographies, si elles écrasent à première vue toute trace d’humanité, sont faites par des personnes en chair, en os, et qui peuvent conter mille histoires sur ce territoire unique en son genre.

Thérèse, derrière son écran, a choisi de capturer, d’emblée, les toits de l’usine Lesieur de Cappelle-la-Grande et, dans le même mouvement, le bassin des mariniers de l’ïle Jeanty, à Dunkerque.

Usine Lesieur, à la frontière entre Coudeckerque et Cappelle-la-Grande.
Bassin des mariniers, île Jeanty, Dunkerque.

Le trait d’union entre ces deux lieux, c’est sa vie, et celle de ses parents. « Ils étaient mariniers. Quand nous étions petites, avec ma sœur, ils ont choisi d’arrêter de faire de longues distances pour assurer le trafic entre le port et l’usine de Cappelle. » Avec leur péniche, ils charriaient jusqu’à l’usine des tonnes et des tonnes d’arachides qui arrivaient par le port de Dunkerque. Et vice versa.

« Le matin, ils étaient à Cappelle et le soir à Dunkerque. Et moi, à la sortie de l’école, je devais marcher pour les retrouver. » Elle a arpenté le canal entre Cappelle et Dunkerque comme personne. Ses jambes s’en souviennent ! A ses côtés, Théo, quarante ans de moins, raconte qu’il n’y a pas si longtemps, il avait vécu des fins de soirées inoubliables dans ces péniches amarrées à l’île Jeanty. Ce quartier avait certes perdu l’effervescence portuaire mais était devenu, le temps d’une soirée, un des lieux de l’underground local.

Les images vues du ciel redonnent aussi leurs lettres de noblesse à des zones souvent ignorées, à la banalité silencieuse, et qui ne sont ni des morceaux de villes, ni des monuments, ni des paysages de cartes postales. Elles révèlent par exemple la beauté des jardins ouvriers de Grande-Synthe. Des parcelles difficiles à percevoir pour le journaliste de passage, tant elles sont situées en périphérie de la ville, entre l’entrée du site Arcelor Mittal et la départementale.

Prendre de la hauteur permet aussi de mieux observer les dynamiques économiques à l’œuvre, et leurs traductions spatiales.

Dans un contexte de mondialisation des échanges, le développement des zones logistiques a pris le relais des grandes zones industrialo-portuaires  nées dans les années 1960 et 1970, expliquent des chercheuses et des chercheurs de l’université du Littoral et de la Côte d’Opale dans le livre collectif La ville et ses risques. Habiter Dunkerque (ed. du Septentrion).

« La valeur ajoutée portuaire n’a cessé de se déplacer au fil du temps. Là où elle était située sur les quais jusque dans les années 1960 (stockage, manutention, négoce…), elle a été transférée vers les activités industrielles proches, laissant voir des paysages portuaires marqués par des impressions de vides et de déserts humains. À la multitude de dockers affairés autour des bateaux, se sont substitués des immenses minéraliers déchargés par des énormes grues pilotées par quelques dockers vidant leurs bennes de plusieurs dizaines de tonnes sur des convoyeurs directement reliés aux sites industriels situés en arrière. Et puis, d’autres types de fonctionnalités sont apparus avec le transmanche, qui voit les chauffeurs-routiers embarquer dès qu’ils le peuvent dans les entrailles des ferries, ou encore les terminaux à conteneurs où les immenses portiques manœuvrés par des dockers perchés à plusieurs dizaines de mètres, opèrent autour de navires immeubles de plus en plus larges, longs et hauts, pressés de quitter au plus vite le port« , peut-on lire dans cette genèse du port de Dunkerque, coécrite par Jean-Marc Joan, Christelle Méha, Anne-Peggy Hellequin et Christophe Beaurain.

« La rapidité, tel est le maître mot du passage portuaire, concluent-ils. Surtout, ne pas rester au port mais libérer les espaces portuaires au plus vite, tant pour les marchandises, que pour les navires et les moyens de transport terrestre. »

Cette évolution s’est traduite par le développement de hangars et de la zone logistique Eurofret, le long de l’autoroute A16. Le ballet des camions est constant entre la voie rapide et le port, où près de 120 000 m2 d’entrepôts sont sortis de terre à deux pas du quai de déchargement des conteneurs et du terminal ferry (Dunfresh, Banalliance, Dunfrost, DailyFresh Logistics, MGF Logistique, Taillieu Logistique Nord…). Aux entreprises de transports s’ajoutent aussi d’immenses parkings sécurisés où les chauffeurs peuvent aussi bénéficier de certains services (laverie, sanitaires, douches, wifi…). 

Plus à l’Est, se dévoile « la plus belle plage du Nord », comme le dit la publicité. A Malo-les-Bains, Leffrinckoucke, Zuydcoote ou Bray-Dunes, la Mer du Nord, à marée basse, révèle ses formidables couleurs, toujours changeantes.  Les points qui constellent le sable rappellent que le territoire est aussi une station balnéaire très fréquentée, avec ses installations touristiques et saisonnières, ses résidences secondaires et ses digues piétonnes. Les épaves et les bunkers, dernières traces visible de l’opération dynamo et des destructions de la guerre, sont des prétextes à d’agréables ballades dominicales.

Plagistes éparpillés sur la plage de Malo.

Si l’industrie a reconfiguré une partie du paysage littoral, avec la complicité de l’Etat planificateur, d’immenses zones naturelles ont aussi été préservées dans ce territoire précurseur en matière de politiques environnementales.

Au delà de la réserve du platier d’Oye, à l’ouest, et des dunes Dewulf et Marchand, à l’Est, c’est un territoire rural qui se dessine en s’éloignant du littoral. Une terre travaillée depuis des siècles par des hommes pour assécher et exploiter ce polder, qui demeure le point le plus bas de toutes les zones gagnées sur la mer en France.

Cette exploration du dunkerquois depuis l’espace révèle la diversité folle de cette terre littorale, rurale, industrielle, et bien souvent tout à la fois !

Malo-les-Bains.
Épave, à Leffrinckoucke.